- COMPLEXE (psychanalyse et psychologie)
- COMPLEXE (psychanalyse et psychologie)COMPLEXE, psychanalyse et psychologieLe terme «complexe» appartient au vocabulaire de la psychologie des profondeurs et de la psychanalyse. C’est le psychiatre suisse Carl Gustav Jung qui, en 1902-1903, dénomme ainsi les phénomènes qu’il découvre lorsqu’il réalise son expérience des associations de mots. En effet, Jung, soucieux d’établir les théories de la psychologie à partir de méthodes expérimentales, élabore la situation d’expérience suivante: une liste de mots est présentée à un sujet qui doit répondre à chaque mot entendu par le ou les premiers mots induits, c’est-à-dire qui lui viennent en pensée. L’étude se propose d’enregistrer le temps de réaction et l’aspect qualitatif de la réponse (émotions, contractions, etc.). Les perturbations observées au cours de ce test (temps de réaction prolongé, absence de réponses, reprise du même mot) amènent Jung à penser que les mots inducteurs qui provoquent une perturbation sont ceux qui rencontrent un contenu émotionnel du sujet. Le complexe est alors défini comme un ensemble de représentations et de souvenirs à forte valeur affective, partiellement ou totalement inconscients.Cette expérience des associations de mots est le point de départ d’une recherche de Jung qui le conduit, après avoir étudié des cas cliniques et aussi en se référant à Freud dont il découvre l’œuvre L’Interprétation des rêves (1900), à établir une théorie en trois points sur les complexes, exposée en 1934: 1o le complexe absorbe une certaine quantité d’énergie psychique qu’il détourne de la conscience, ce qui provoque des comportements inadaptés (ex.: lapsus linguae, confusion dans les situations où sont réactivés les contenus émotionnels, etc.); 2o le complexe forme une entité psychique autonome au sein de la psyché, et cela d’autant plus qu’il est lié à des représentations inconscientes (l’homme n’est pas maître chez lui) — dans les cas extrêmes, les complexes constituent des personnalités parcellaires telles que les décrit Pierre Janet (le cas Juliette) dans son livre Les Névrosés (1909); 3o plus généralement, la névrose peut se comprendre comme une dissociation de la personnalité.Ce concept de complexe constitue pour Jung une transition entre la première et la deuxième partie de son œuvre. En effet, derrière les complexes maternel et paternel se profile la théorie des archétypes qui structurent l’âme, ainsi, entre autres, l’anima et l’animus . Les complexes ne sont que des manifestations contemporaines et individuelles de notre héritage psychique constitué depuis le début de l’espèce humaine et conservé au sein des profondeurs de notre inconscient collectif.Les observations de Jung tirées du test des associations de mots sont à l’origine de la rencontre entre Freud et Jung, ce dernier découvrant dans le «mécanisme de refoulement» exposé par Freud dans L’Interprétation des rêves une explication qui confirme et approfondit ses propres conclusions. Inversement, le test des associations de mots démontrait la fécondité de la pratique de l’association libre que Freud utilisait avec ses patients après avoir renoncé à la pratique de l’hypnose et de la suggestion. Freud reconnaît à la théorie jungienne des complexes l’intérêt de rassembler d’une façon descriptive des faits psychologiques indéniables, mais il juge qu’elle rend insuffisamment compte de la dynamique de l’activité psychique. À la scission de la personnalité résultant de l’autonomie des complexes, selon la théorie de Jung, correspondent, dans la théorie freudienne, les formations de symptômes qui sont des compromis entre les exigences du Ça et celles du Surmoi, nécessitant l’action de forces refoulantes, repoussant dans l’inconscient les représentations et affects intolérables pour le Surmoi. Ainsi la théorie des complexes n’a pas eu de suite dans la théorie freudienne. Dans celle-ci, le mot «complexe» est employé surtout pour désigner le complexe d’Œdipe et le complexe de castration, les deux étant liés.L’expression complexe d’Œdipe apparaît dès 1900 dans L’Interprétation des rêves . Selon Freud, si la tragédie de Sophocle a connu tant de succès au cours des siècles, c’est qu’elle confirme l’universalité des tendances hostiles pour le parent de même sexe. Voici la première pierre posée dans l’explication de l’étiologie des psychonévroses: il s’agirait d’une perturbation des premières impulsions sexuelles de nature incestueuse. Le complexe d’Œdipe est le complexe nucléaire des névroses. Par conséquent, pour Freud il désigne une situation spécifiquement humaine liée à l’interdit de l’inceste.L’expression complexe de castration s’expliquerait, toujours selon Freud, par la résurgence d’une angoisse remontant aux origines de l’espèce humaine: la situation œdipienne, par le désir de meurtre du rival, rappellerait les temps primitifs où les êtres humains vivaient en hordes et où le chef de meute, père tout-puissant, châtrait les mâles qui menaçaient son pouvoir et s’assurait ainsi la jouissance exclusive des femmes.En conclusion, le complexe d’Œdipe n’est pas un concept mais la dénomination d’une étape affective humaine douloureuse et néanmoins structurante, puisqu’elle est le fondement des identifications.Un disciple de Freud, Adler, a élaboré de son côté la théorie du complexe d’infériorité . Il interprète toutes les attitudes humaines individuelles comme des réactions de compensation à des sentiments d’infériorité provoqués par une infériorité organique réelle. Cette théorie n’a pas connu de développements ultérieurs.En conclusion, le mot «complexe» a connu deux dérivés: il est soit un concept de transition (comme dans l’œuvre de Jung), soit un terme saturé de contenus empiriques et alors, pour chaque usage, il constitue une interprétation d’attitudes humaines singulières. Ainsi, le risque est grand que les complexes renvoient à une liste typologique de comportements. C’est en quelque sorte ce qui s’est produit dans le langage courant avec l’expression «avoir des complexes». Par vulgarisation, le terme «complexe» semble avoir perdu toute spécificité conceptuelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.